Musiques traditionnelles hongroises; influence et omniprésence d’un don dévastant

« Festival de Budapest » (Inrockuptibles)

30/11/1997 | 01h01

Le bon sauvage. Iván Fischer renouvelle avec une énergie insoupçonnée tout un pan de la musique d’Europe centrale. Du coup, Liszt, Bartók ou Kodály réapparaissent parés d’une fraîcheur virginale. Un traitement grisant que le jeune chef d’orchestre hongrois applique également avec succès à Wagner et Strauss, qu’il dirige en concert à Paris, à la tête de l’Orchestre du Festival de Budapest.

De taille plutôt modeste, il ne fait pas de grands gestes et parle d’une voix claire, sans élever le ton. Iván Fischer pourrait se confondre avec un membre de son orchestre (celui du Festival de Budapest) dans l’agitation fébrile qui toujours précède les quelques minutes avant l’entrée en scène, sans ce détail qui dévoile sa personnalité : juste le regard, des yeux d’un bleu translucide, vif et éclatant. Encore inconnu, le jeune chef d’orchestre hongrois fondait voici une dizaine d’années avec le pianiste Zoltán Kocsis l’Orchestre du Festival de Budapest ­ le premier orchestre autogéré de Hongrie ! ­ et enregistrait, avec un certain succès, l’intégrale des œuvres pour piano et orchestre de Béla Bartók. Une première venue en France à Paris, en 1990, avec son orchestre permit d’apprécier ses qualités de chef en concert, qui se confirmaient cinq ans plus tard, lors d’une nouvelle tournée parisienne, à l’occasion d’un festival Bartók. Violoncelliste à l’origine, Fischer a perfectionné sa direction d’orchestre à Vienne auprès de Hans Swarovsky et à Salzbourg avec Nikolaus Harnoncourt, dont il fut l’assistant à l’Opéra de Zurich en 1977. Son orchestre, depuis peu constitué de musiciens permanents (1992), est basé à Budapest, dans la Salle du Festival, l’un des hauts lieux de la ville, richement décoré dans l’esprit des palais viennois et doté d’une acoustique exceptionnelle. A midi pile, en ce début du mois de janvier, le chef et son orchestre organisent une master class où sont conviés tous ceux qui veulent écouter de la musique et quelques explications : “J’aime beaucoup ces répétitions publiques, parce qu’on y voit des gens qui ne viendraient pas habituellement au concert, le soir. Le public est mélangé, il est constitué notamment d’étudiants, de lycéens ou de retraités souhaitant un accès plus facile à la musique par le biais d’une brève présentation ou un éclairage précis sur une particularité de l’œuvre jouée. Je ne fais pas ça dans l’esprit de Leonard Bernstein à Carnegie Hall ; ce n’est pas un cours ou une lecture professorale de la partition, mais plutôt quelques idées, qui sont les miennes, et que j’essaie de développer.”

Pour expliquer de quelle manière Franz Liszt avait été influencé par la musique populaire hongroise, Iván Fischer n’a pas hésité à demander à des musiciens tsiganes de venir jouer sur scène parmi les instrumentistes de son orchestre. Liszt appréciait la générosité musicale des tsiganes, qui recomposaient entièrement les airs populaires de l’époque avec une virtuosité frénétique qui n’excluait pas un sens de la profondeur. Aussi, pour Fischer, “lorsque Liszt compose ses Rhapsodies hongroises, c’est une manière “d’enregistrer” le style tsigane, de le fixer sur une partition, avec cette virtuosité légendaire. Lorsqu’on est un musicien “classique”, on ne peut que suivre le plus précisément possible les indications rythmiques de Liszt ; mais qu’en est-il du style véritable de cette musique, de son essence naturelle ? C’est pour cette raison que j’ai souhaité interpréter en concert une Rhapsodie de Liszt avec l’un des plus fameux orchestres tsiganes de Budapest, que l’on peut également écouter le soir dans différents restaurants. Ainsi, je pense qu’avec ces musiciens tsiganes dans l’orchestre, on a saisi en partie ce que Liszt a pu entendre près de cent cinquante ans auparavant.”

L’influence de la musique populaire hongroise est immense en Europe, au tournant du siècle, en particulier chez Claude Debussy. Le compositeur et pédagogue hongrois Zoltán Kodály fréquentait Debussy et en retour, avec un autre musicien hongrois, Béla Bartók, ils ont été attirés tous deux par les harmonies nouvelles de Debussy : “Chez Bartók, c’est particulièrement sensible dans ses œuvres composées jusque dans les années 10. A partir du ballet Le Prince de bois, terminé en 1917, son écriture évolue et se tourne vers des coloris plus secs, nettement influencés par le folklore populaire, avec une âpreté qui l’éloigne de Debussy. C’est drôle, parce que la personnalité de Bartók est tellement différente de celle de Debussy ou celle de Maurice Ravel… Il était si réservé, si timide et d’un tel sérieux qu’il n’avait probablement aucun sens de l’humour. Bien sûr, je ne l’ai pas connu, mais je ne peux pas imaginer Bartók souriant ! Je l’entends dans sa musique, qui peut être parfois très joyeuse, mais sans humour. Regardez, au moment des persécutions nazies, il était totalement désemparé : “Dois-je rester en Hongrie ? Dois-je fuir en Amérique ?” Finalement, il s’est exilé aux Etats-Unis et là, il est devenu triste, taciturne. Bien sûr, sa situation n’était pas facile, il ne comprenait pas la langue et a dû s’astreindre à une discipline de fer pour résister à la pression environnante ; et à ce drame personnel s’ajoutait le fait qu’il communiquait difficilement par la parole.”

La richesse du folklore d’Europe centrale est telle ­ “C’est une véritable mine d’or” ­ qu’Iván Fischer n’a que l’embarras du choix lorsqu’il dirige une partition classique inspirée par la tradition, qu’elle soit d’origine hongroise, roumaine, tchèque, polonaise ou slovaque : “Pour moi, la question essentielle dans un tel répertoire est celle du rubato, pouvoir accélérer ou ralentir certaines notes de la mélodie, tout en conservant le rythme indiqué. Il faut pouvoir conserver cette liberté.” Cette approche originale et cette liberté dans sa direction d’orchestre sont totalement convaincantes dans des œuvres inscrites récemment au répertoire de l’Orchestre du Festival de Budapest : Le Mandarin merveilleuxLe Prince de bois et le Divertimento de Bartók, et la Faust symphonie de Liszt. Dans Le Prince de bois, dont il est le seul chef à jouer la version intégrale du ballet, estimant que la partition est d’une qualité exceptionnelle dans sa totalité, Fischer n’a pas son pareil pour restituer à l’orchestre le sentiment de la nature et l’immensité de cette forêt, sa puissance imposante et ses dimensions surnaturelles ­ la forêt respire au rythme du vent, investie de forces étranges. Ce sens du fantastique, restitué avec exaltation par le chef d’orchestre, est parcouru sans cesse, comme pour Le Mandarin merveilleux, de danses bigarrées qui s’ébrouent, goguenardes ou suaves. Bartók savait si bien transcender en musique le sentiment de la nature que dans l’une de ses dernières lettres, “il demandait à l’un de ses amis, qui vivait dans une région des Etats-Unis éloignée de la sienne, s’il voulait bien transcrire musicalement à son intention le bruit des ailes du colibri et en calculer mathématiquement la fréquence et le nombre de battements… C’était son côté enfantin, à la fois d’une précision absolue et d’une fantaisie incroyable, pour restituer de façon réaliste et quasi analytique la nature. Dans le mouvement lent de son 3ème concerto pour piano, j’entends distinctement le bruit de la forêt et le vent qui frôle imperceptiblement les feuilles des arbres. De même, dans sa Cantate profane Les Cerfs enchantés, la parabole de ces cerfs qui préfèrent boire l’eau claire des forêts plutôt que revenir à leur nature humaine originelle symbolise l’esprit d’absolu de Bartók, qui a toujours préféré la nature à la société, les bois à la ville.”

Heureusement pour nous, Iván Fischer n’est pas aussi farouche que son illustre compatriote. Il a appris à sortir de la forêt, il aime communiquer, s’adresse volontiers aux autres et par-dessus tout renouvelle avec un réalisme et une crudité salutaires et magnifiques l’interprétation de plus d’une œuvre d’Europe centrale.

 

 Le « Festival de Budapest » d’Ivan Fischer ; un pionnier des musiques hongroises, dans l’ombre d’une politique totalitariste médiatisée

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 « Chaque concert est une fête. »

Rythmes libertins, mélodies endiablées, et virtuosité émotive ; tels seraient les ingrédients  de l’âme  Hongroise. Parlons aussi du cymbalons, du violon (instruments nationaux, associés à la Hongrie), et de l’image indispensable des hussards,  cavaliers guerriers, dont le cœur ne manque pas de courage. Ce dernier étant récemment de plus en plus urgent à retrouver pour le « peuple du bassin des Carpates ». Pour quelle raison ?

Malgré cette image idéaliste, ancrée dans la conscience des personnes « non-hongroises », la vie de la Hongrie ne se résume pas uniquement par les fêtes musicales « inondées » par la  goulache[1] et par la « potion  magique » hongroise, le pàlinka[2].

palinka kolbasz

Le piment (épice nationale, dont la Hongrie est réputée partout dans le monde) est tombé désormais dans l’assiette de la politique nationale, et qu’est-ce que ça pique !

C’est ainsi que la Musique Folklorique fut infectée par le « syndrome du nationalisme », subissant les conséquences de nombreux préjugés qui accompagnent la Hongrie partout en Europe.

Le « malaise hongrois » décrit dans la presse internationale serait issu d’une politique qui tend vers un totalitarisme absolu de la partie droite actuellement au pouvoir.

Comment y remédier ? Faut-il y remédier? Ne serait-il pas plus efficace de remettre en valeur la musique hongroise tout simplement, tout en évitant toutes idéologies ambiguës qui tentent à imprégner la vie musicale actuelle de la Hongrie ?

Alors que la solution supposée reste contestable, le chef d’orchestre hongrois, Ivan Fischer a tenté le diable. Persuadé que la position et le rôle de l’influence musicale hongroise doivent être rebâtis, Ivan Ficher donne l’exemple d’un personnage-musicien complètement dévoué à son art. Il  multiplie ses efforts, afin que les traditions musicales d’origine hongroise obtiennent une visibilité internationale, telles qu’elles la méritent.

Or, il est sur et certain que l’année 2013 ne se situe pas dans le même contexte politique, social et culturel.  Les modes et les possibilités de diffusion se sont curieusement transformées, et la réception des œuvres et des productions culturelles ou artistiques n’est  plus la  même non plus.

Nous pouvons également noter au passage l’existence des questions politique, sociale et économique par rapport à la culture musicale en Hongrie et ses conséquences ambiguës ; (qui suscitent polémique à l’étranger, chez ses « voisins » européens). D’une part, la présence toujours active dans la vie professionnelle musicale internationale, et  d’autre part, sa marginalisation dans la société locale, la faute à des effets politiques négatifs…

Après tout, qu’est-ce qui fait toujours l’actualité des musiques hongroises, malgré le processus politico-culturel discriminatif subi par les habitants, et mené par les pouvoirs hongrois ?

L’année 2013, voit t elle encore cet intérêt passionné (ou plutôt passionnant) porté par la musique hongroise et son influence ?

***

Cet article ayant pour but de chroniquer sur le Festival de Budapest, a eu lieu à Paris, en Novembre 1997. L’année où les choses en Hongrie étaient déjà en train de changer, mais l’année aussi qui donnait encore l’espoir aux mélomanes lisztiens et bartokien de faire marcher la vie artistique vers une légitimité juste de l’influence hongroise dans la musique. (Classique et populaire.)

Après,  beaucoup plus tard, en 2009, le nouveau chef politique du parti de droite a décidément serré le frein ; « Viszontlàtàsra  »[3] alors, aux subventions prometteuses, à la liberté d’expression auparavant fondamentale dans la presse, et aussi, au courage « à la hongroise », qui précédemment permettaient aux musiciens de valoriser ce qu’ils voulaient, et de cette façon, de se valoriser eux-mêmes…

Curieusement, M. Ficher ne se sent pas gêner, car (malgré tout), depuis 1997, date du Festival de Budapest à Paris, le public hongrois et étranger ont la possibilité de participer à de multiples manifestations autour des concerts composés de morceaux musicaux sous influence hongroise.

Prenons donc en compte sérieusement l’influence des musiques populaires d’Europe Centrale (et de la Hongrie tout particulièrement) sur des compositeurs de la musique savante.musiciens ancien

Debussy, Liszt, Bartók, Ligeti et beaucoup d’autres furent fascinés par les mélodies victorieuses et coquines des « csardas » ou par la mélancolie furieuse des « sirato », chansons traditionnelles des campagnes, qui nous parlent de la maladie d’amour, et celle de son pays…

Ces sentiments cités se reconnaissent et se ressentent dans l’interprétation de Rhapsodie Hongroise de Liszt, par le pianiste Gyorgy Cziffra.

Fierté Hongroise, virtuosité de l’esprit et orages émotionnels ; les mots clés préférés, si on souhaite décrire l’interprétation de Cziffra.

Dans son cas, la musique de Liszt devient symboliquement parlante ; comme si le Destin mouvementé du peuple Hongrois était ancrée dans la musique-même.

Quel que soit le vrai message de Liszt à faire passer, cette pièce composée se rapproche plus de la réalité hongroise du XXIème siècle qu’on pourrait le croire.

Cziffra, pianiste grandiose du début du siècle passé ramène l’Actualité dans le Passé avec succès. Résultat musical : une nostalgie bouleversée-bouleversante, portant la grande caractéristique des Hongrois, la gaité malheureuse.[4]

L’Exemple de la Rhapsodie Hongroise de F. Liszt semble donc se justifier, car le compositeur fut particulièrement influencé par la musique populaire hongroise, dont les musiques tziganes.

Cette influence existait aussi d’une manière réciproque entre Claude Debussy et un autre compositeur hongrois, Béla Bartók, qui se sont inspirés de mélodies populaires hongroises, prenant ces dernières, comme une matière musicale pure, naturelle et efficace.

[5]C’est ainsi que sont nées des « partitions classiques inspirées par la tradition », que mentionne Ficher dans l’article pris en exemple.

En écoutant la Rhapsodie Hongroise, c’est une liberté de rythme, qui saute aux oreilles, incluant la possibilité de nombreuses variations et modes d’interprétation qu’offre la musique traditionnelle en général. Rajoutons également la liberté de conduite musicale, conduisant le compositeur et l’interprète à une liberté  d’expression impressionnante en musique.

Avec tous ces atouts, la musique traditionnelle suscite de nouveaux l’intérêt des mélomanes (musiciens amateurs et professionnels) et de ceux qui s’intéressent aux traditions musicales de leur pays.

L’exemple fourni par la présentation du Festival de Budapest illustre d’une manière fidèle ce phénomène de « revisite » des musiques populaires hongroises, qu’il s’agisse des œuvres savantes, traditionnelles, ou bien « traditionnelles modernes ».

hungarian folk music borito

Critique Musicale, Critique de l’article

En parlant de la rédaction, du contenu et de l’esthétique de l’article, on peut tout de suite déclarer qu’il satisfait aux attentes des lecteurs avertis.

Il possède tout d’abord une longueur dite  « idéale » : ni trop longue, ni trop courte, l’auteur maintient l’attention tout au long du texte, tout en le dynamisant avec ses énoncés de thèmes divers.

La phrase d’attaque frappe fort, très bien trouvée pour lancer le sujet principal.

Les deux parties (reportage et  description) s’allient remarquablement dans le schéma de construction. Cependant l’explication sur la présence et l’influence des musiques populaires sur les musiques savantes n’est pas suffisamment explicitée, ce qui laisse un sentiment de manque dans un lecteur mélomane, dévoré de curiosité.

Pour ce qui est de l’introduction, et la description, elles sont écrites au travers d’une biographie sélective du chef d’orchestre Ivan Fischer. Cela est lié d’une façon volontaire à son rapport (personnel et professionnel) aux compositeurs utilisant des musiques folkloriques dans leur travail, ainsi qu’à la musique populaire elle-même.

Par la suite, les énoncés de Fischer sont cités sous forme d’entretien sur le sujet d’un master class organisé (avec une répétition générale, ouverte à tous), composé surtout de jeunes étudiants. Le but étant d’assurer un accès à ces musiques, et d’anticiper leur transmission, leur apprentissage et leur promotion en quelque sorte. Il souligne surtout son importance dans le développement de l’enseignement musical du répertoire traditionnel, souhaitant élargir le champ des publics.

Cette interview est révélatrice quant aux problèmes du secteur musical de la Hongrie, que l’on  remarque dans  la prise de position de Fischer. Il suffit d’extraire certains détails symboliques.

Prenons d’abord ce qui concerne le public visé du festival. (« Le public est mélangé…»). Public mélangé voudrait dire accès égal à tout le monde, indépendamment de son niveau professionnel ce qui confirme l’ouverture d’esprit du chef d’orchestre.

Sa volonté de revaloriser le répertoire traditionnel devient encore plus renforcée quand il utilise les termes suivants : « …renouvelle avec une énergie insoupçonnée…tout un pan de la musique de l’Europe Centrale. »

D’une façon logique, le mot « énergie » renvoie à une dynamique indéniable de ses actions  réalisées autour de ce domaine.

En revanche, l’expression « insoupçonné » soulève une certaine incertitude de la part de Fischer, ce qui suppose l’existence d’une ambiguïté professionnelle par rapport au statut de ces musiques.

 Quand il mentionne l’« …accès facile » et l’ « …éclairage précis sur une particularité de l’œuvre jouée », il fait référence au fait que la compréhension de l’œuvre musicale influencée par la musique  populaire n’est pas évidente pour tous. Il faut donc assurer un moyen qui permet de les aborder d’une manière compréhensible, notamment par le biais de l’utilisation d’un langage simple, dit « popularisant ».

Indépendamment des questions qui lui sont posées, Il met toujours en avant l’importance de  ses propres idées, c’est-à dire, sa vision sur la musique, y compris l’apprentissage, l’interprétation et sa réception par le public.

Il s’exprime entre outre sur l’invitation des musiciens tziganes pour jouer avec son orchestre, toujours dans le cadre du Festival de Budapest.

Quand Fischer parle des musiques populaires tziganes, il les caractérise de la façon suivante : « …virtuosité frénétique qui n’excluait pas un sens de la profondeur ». Donc, dans ces musiques, il s’agit à la fois d’une attitude effervescente dans la manière de jouer, et d’un message artistique que contient la musique.

La Rhapsodie Hongroise de F. Liszt, déjà entendue dans l’interprétation de Gyorgy Cziffra peut être aussi bien joué par l’Orchestre du Festival de Budapest, que par les invités de l’Orchestre des Cent Violons Tziganes de Budapest. Musique traditionnelle et classique seront donc compatibles.

Voilà ce qui rend légitime par la suite une série de citation des faits historico-culturels, concernant le tournant du siècle : l’auteur de l’article et le chef d’orchestre interrogé en tirent profit, quand ils parlent de Béla Bartók et de Zoltan Kodaly. Ils sont influencés par la musique populaire d’Europe Centrale, tout comme Claude Debussy, pour ne pas rester uniquement dans une perspective « purement Hongroise ».

Fischer décrit d’une façon claire une contradiction entre l’influence de Debussy sur Bartók et entre la différence de caractère de ces deux compositeurs. Cette comparaison audacieuse, aurait elle une place dans l’article, alors qu’elle semble être hors du contexte traité ? Si on se ressaisit l’objectif original de la publication, l’accent serait censé être mis sur la réaffirmation de l’importance des musiques traditionnelles, et non sur les caractéristiques des compositeurs cités.

Ceci étant le léger accroc de l’article. Il est quand même évident que cette remarque n’a pas sa place dans le texte, hormis la mention de la manière dont évoluait le style de composition de Bartók ; ce dernier fait étant véritablement pertinent.

(« …son écriture évolue et se tourne vers des coloris plus secs »)

Pour combler le vide réveillé dans l’aspiration des lecteurs musicologues, il est à savoir que la véritable description musicale se trouve dans la dernière partie de l’article.

Amateur de petites  « gourmandises » glissées dans ces textes, l’auteur donne l’exemple du « rubato » qu’on entend dans les musiques populaires, liée à une liberté de rythme déjà citée. (« … pouvoir accélérer ou ralentir certaines notes de la mélodie, tout en conservant le rythme indiqué. Il faut pouvoir conserver cette liberté.”) 

Le maître comme son chien, la description comme la musique populaire ; simple, compréhensible, et musicalement parlant.

En passant à la conclusion, l’article se tourne vers une nouvelle description du caractère du chef d’orchestre, Ivan Fischer. Ce dernier n’étant pas « farouche » comme l’était Bela Bartók… C’est une mise en opposition de l’esprit des deux musiciens, dont un étant du siècle passé et l’autre de notre époque actuelle.

bartok ivan ficher

Par conséquence, la critique devient de plus en plus frustrante et fait ressurgir le même constat qu’au début de sa lecture. Jouer avec des caractéristiques des personnalités citées n’emmène pas forcément à l’aboutissement de l’écrit d’un enseignement pertinent.

Pourtant, malgré cette légère discordance du texte, le caractère multiculturel et international du journal [6]est bien ressenti par le lecteur. L’article souligne d’une part, l’importance de sauvegarde et de diffusion du répertoire folklorique, et celle des œuvres influencées par les musiques folkloriques.

La recette de l’ouverture d’esprit du journal s’explique aussi par la démonstration de la richesse musicale des différents pays de l’Europe Centrale. En prenant notamment l’exemple d’un chef d’orchestre hongrois connu au niveau international, qui expose d’une manière claire sa conception sur la conjonction et l’articulation commune des musiques savantes et traditionnelles.[7]

Son concept est mis en valeur avec succès, au travers de la mention des œuvres et des compositeurs influencés par des musiques populaires, comme Debussy, Bartók et Liszt.

L’esprit musical d’Ivan Fischer est décrit en détail, ce qui donne une certaine dynamique au texte. Il s’agit d’un personnage qui aime prendre l’initiative, surtout quand c’est un domaine musical politiquement contesté, qui est en jeu.[8]

ivan f autorité

En un article, on parcourt l’histoire, tout en gardant l’aspect contemporain de ces musiques, en apprenant comment elles persistent dans la société actuelle, et comment elles sont reçues par les jeunes générations de notre siècle.

La Hongrie, Musiques Traditionnelles et sa Politique, du 1997 jusqu’à nos jours

D’après Fischer, la richesse folklorique de l’Europe Centrale est une véritable mine d’or. Cependant, cette « mine d’or » tant admirée, est-elle jetée progressivement « devant les cochons »[9], comme le disent des « magyares » ?

D’une façon très claire, la situation politique hongroise devient de plus en plus aggravante depuis une quinzaine d’années.

On remarque notamment une descente sociale pouvant impliquer une possibilité d’évolution dans le rapport du peuple Hongrois aux musiques traditionnelles. C’est pourquoi l’accent est remis sur la pratique et sur la diffusion du folklore. De même on observe un processus de réutilisation des musiques populaires, en tant que « protest songs», dans un contexte contemporain Hongrois, (bouleversée par des querelles politiques et par l’effondrement de l’économie du pays).

On pourrait donc qualifier le répertoire des musiques folkloriques, comme une « carte de visite » invisible, gravée toutefois dans la conscience collective des Hongrois.

En examinant le cas de la Hongrie sous des aspects anthropologique et sociologique, on peut en déduire que les Identités sociale et culturelle des hongrois sont menacées ; d’où le sentiment d’un besoin de réaffirmation profonde de la société. Car d’une manière générale, la culture traditionnelle d’un pays est un moyen d’exprimer son identité nationale et culturelle.

Politique, culture et médias

 Dans le cas de la Hongrie, il est évident que l’influence des mesures politiques (et des médias qui en communiquent) sur les actions de revalorisation des musiques hongroises est quasiment toujours accablante.

Notons au passage qu’en 1997, c’est le parti de gauche (libéral, démocrate) qui est au pouvoir.

Selon une hypothèse, la circulation des musiques hongroises (anciennes et renouvelées) était plus libre durant cette période, étant donné le poids des censures sociales et politiques beaucoup moins signifiant.

En opposition de cela, la Hongrie rencontre une rupture radicale dans la vie politique en 2012 ; l’année où le parti de droite reprend le pouvoir, avec le Président Viktor Orbàn en tête, connu surtout pour ses réformes anti-démocratiques…[10]

Les procédures dégradantes occultées par le président touchent tous les secteurs publics, donc les médias visuels et sonores, dont la situation est de plus en plus dégradée.

Les pouvoirs politiques, tendant de plus en plus vers un régime totalitariste, s’avère à être non seulement oppressifs, mais souhaitent également contrôler le contenu et la diffusion des médias. Par conséquent, une censure irrationnelle est instaurée, et la liberté d’expression cesse d’exister, révoltant ainsi la presse internationale et les Hongrois.

C’est pour cette cause que l’article reportant sur le Festival de Budapest de 1997 peut être  considéré aujourd‘hui comme le « contrepoids » de cette influence dévalorisante.

100 violons tziganes

 La «question-tzigane » est également un point sensible, voire délicat partout dans l’Europe actuelle. Les tziganes sont souvent victimes d’un racisme généralisé, ce qui s’explique par un stéréotype généralisé, bien répandu en Hongrie. Selon ce dernier, il existe une partie de la population tzigane qui ne veut pas travailler, devenant ainsi un « fardeau » pour la société Hongroise. Or, nombreux sont des musiciens et d’autres artistes qui sont d’origine « tzigane».

Le fait de faire venir des musiciens tziganes pour jouer dans le cadre du Festival de Budapest est un geste symbolique, politiquement et artistiquement parlant.[11]

 

C’est grâce à ces gestes qu’on assiste de nos jours à la réutilisation d’éléments musicaux issus de la tradition folklorique dans des genres musicaux contemporains, comme la pop, le rock, le rap, le jazz ou encore la comédie musicale.

Pourquoi ? En raison d’une redécouverte des valeurs musicales et socioculturelles de la musique traditionnelle, donnant une véritable force aux Hongrois pour affirmer leur identité. Culturellement engagée mais ouverte à tous, la musique traditionnelle d’aujourd’hui est appelée à dénoncer tous les préjugés politiques et nationalistes.

musique folk magy idosek

Epilogue

 

« Suite à une infection politique, et légèrement blessée par un coup de nationalisme extrémiste, la Hongrie était soumise à un processus de réutilisation, de réinvention, et de réaffirmation des musiques folkloriques, par le biais des actions de revalorisation via les musiciens engagés et les médias européens. »

Tel est le diagnostique  qui pourrait être établi concernant cette Affaire ambiguë de Musiques Hongroises politisées.

C’est ainsi que le Piment Dangereux de la politique hongroise peut être éliminé avec succès de notre « soupe ». Non seulement de celle des « Magyares », mais aussi de la notre ; habitants multiculturels de l’Europe.

Car la musique traditionnelle, qu’elle soit tchèque, grecque, roumaine ou hongroise est l’affaire de tous ceux, qui montrent un minimum d’intérêt pour les musiques menacées d’une transformation féroce et irréversible des valeurs culturelles traditionnelles.

Chers « citoyens-docteurs », à vous d’agir, de réagir !

raszallott a pava


[1] Plat national traditionnel hongrois, composé de la viande du bœuf, des pommes de terre, de l’oignon et du paprika.

[2] Eau de vie de la Hongrie, à la base des fruits. A consommer avec modération.

[3] Viszontlàtàsra signifie Au revoir en Hongrois.

[4] Allusion au proverbe faisant référence au sentimentalisme du peuple Hongrois. Voire proverbe original :

« Le Hongrois s’amuse tout en pleurant. »

[5] Dans l’article, Ivan Fischer insiste également sur le « sens fantastique », et le « sentiment de la nature », autres caractéristiques propres aux musiques traditionnelles.

[6] Les Inrockuptibles, n° 30/11/1997.

[7] « …choix lorsqu’il dirige une partition classique inspirée par la tradition, qu’elle soit d’origine hongroise, roumaine, tchèque, polonaise ou slovaque. »

[8] « …renouvelle avec réalisme »

[9] Dicton Hongrois, originaire de la Bible. Destiné à exprimer un acte de partage de valeur avec des personnes incapables à l’apprécier. Voir le dicton original ; « Il n’est pas favorable de jeter des perles devant des cochons. ».

[11] L’orchestre Symphonique des Cents Violons Tziganes de Budapest se réjouit d’une reconnaissance internationale et donne régulièrement des concerts  à Paris.

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